Le 8 février 1958, le petit village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, situé près de la frontière algérienne, devint le théâtre d’un épisode sanglant et déterminant dans l’histoire de la décolonisation nord-africaine.
Deux ans après l’obtention de son indépendance formelle, la Tunisie, sous le feu des projecteurs internationaux, se retrouva au cœur d’un conflit qui dépassait ses frontières, impliquant directement son voisinage avec l’Algérie, alors en pleine lutte pour sa propre indépendance. À cette époque, l’Armée de libération nationale algérienne bénéficiait d’un soutien conséquent, non seulement de la part des populations et gouvernements tunisiens mais également via des aides matérielles provenant d’Égypte, d’Europe de l’Est et de l’Union Soviétique. La France, ancienne puissance coloniale, voyait d’un mauvais œil ce soutien apporté aux combattants algériens et accusa le gouvernement tunisien de collusion avec les « rebelles ». L’attaque aérienne du 8 février sur Sakiet Sidi Youssef, justifiée officiellement par la France comme l’exercice du « droit de poursuite », visait en réalité à briser l’élan de solidarité entre Algériens et Tunisiens. Les forces aériennes françaises lancèrent un raid dévastateur, impliquant 25 avions, sur le marché hebdomadaire du village, causant la mort de près de 600 personnes et blessant 150 civils. Les victimes, principalement des réfugiés et des civils tunisiens, se trouvaient pour la plupart dans une mine désaffectée servant de refuge. Cette agression ne fut pas un acte isolé mais l’expression d’une politique punitive préconçue par l’administration coloniale française, visant à punir et à affaiblir le front de résistance algéro-tunisien. Elle marqua un tournant dans le regard international sur le conflit algérien, témoignant de la brutalité de la répression exercée par la France contre les mouvements de libération nationale. Les événements de Sakiet Sidi Youssef eurent des répercussions bien au-delà de leurs conséquences immédiates. En réponse, le gouvernement tunisien, loin de se plier, intensifia son soutien aux combattants algériens, tandis que la communauté internationale se faisait l’écho des critiques contre l’agression française. Deux mois et demi après le drame, la conférence de Tanger, réunissant des délégations tunisiennes et du Front de libération nationale algérien, fut organisée. Ce sommet fut perçu comme un avertissement à la France, signifiant que toute agression future rencontrerait une réponse collective et concertée. L’agression de Sakiet Sidi Youssef illustre l’interdépendance des luttes pour l’indépendance dans la région maghrébine et souligne la complexité des relations franco-nord-africaines durant cette période. Elle reste gravée dans la mémoire collective comme un symbole de la brutalité de la guerre d’indépendance algérienne et de la solidarité entre peuples aspirant à la liberté.
Par Aissani Mohamed Tahar